samedi 10 novembre 2012

Le temps des Alchimistes


La vendange rentrée, les cuves remplies, voici venu le temps des alchimistes. C'est le moment ou le vigneron s'enferme dans le silence de son chai. Joue du "drapeau" pour maîtriser les montées en température. Guette avec inquiétude ces fermentations qui, en bio, sont souvent lascives. On est très loin ici des "Formule 1" de la vinification industrielle.
"Les levures naturelles (on dit généralement "indigènes", ndla) ce ne sont pas des voitures de course, concède Jean-Michel Comme depuis son chai de Pontet Canet (à droite). Bien sûr, ce n'est pas aussi rapide que la dernière levure "Schwarzenegger" du commerce. Elles fermentent à leur rythme, calmement et c'est tant mieux. Elles réclament plus de vigilance. Ça oblige à être proche de chaque cuve et donc à mieux respecter chaque terroir".
Alors, inlassablement, il faut goûter, remonter, re-goûter, piger... Extraire, mais pas trop. Sans faire souffrir la matière, sans malmener les jus. Et au prix parfois d'exercices digne d'un funambule, les deux pieds en équilibre sur une planche, au dessus des cuves. Tout le monde n'a pas le robot-pigeur de l'ami Marcel Richaud...

Et puis l'automne, c'est aussi le temps des premières batteries d'analyses. Car on l'oublie trop vite, avant d'être bouteille un vin est d'abord éprouvettes et flacons troubles. Acidité volatile et sucres résiduels. De la chimie, finalement. C'est le moment des dégustations inquiètes parce qu'on a "encore trop de sucres dans les jus". Le temps des remises en cause. Et des états d'âme...
"Moi j'appelle ça le blues du vigneron, raconte Jean-Baptiste Senat. La dépression post-vendanges. Le moment ou on se met à douter de tout. Parce que ça ne se passe pas comme on voudrait. A cause de la tension de la fin d'un cycle. Dans ces moment-là, je suis très concentré (il sourit, ndla)... Et sans doute pas très facile à vivre!"
C'est le temps aussi des petits secrets de fabrication que chacun garde jalousement pour lui. Le moment où le vigneron, dans l'ombre de son chai, éprouvette en main et analyse en poche, mais
le plus souvent nez au vent et à l'instinct, prend tous les risques. Ou retient les chevaux.
"Je fais ma petite cuisine, témoigne Frédéric Palacios. Cette année, ça va être rock. Du coup, j'ai fait des sauces innovantes. Une cuve en grains entiers non foulés. Quelques expériences sur mes blancs. Je me suis éclaté! J'ai tenté des trucs que je n'avais pas le temps de faire avant".
En ce début novembre, on peut ainsi goûter à la cuve le pire et le meilleur. Des jus fermés, étriqués, parfois malodorants... Ou des nectars au nez déjà inoui. Au Mas de mon Père, les Sauvignons et les Chasans sentent la poire et les agrumes. A Font Juvenal, au fin fond du Cabardès, les Muscats exhalent des senteurs de pamplemousse. Chez les Mengus, la Syrah est délicieusement mentholée et chez Senat les jeunes vignes de Mourvèdre ont une fraîcheur saisissante.

Ce que cela donnera au bout du compte... Mystère et boule de gomme! Mais après tout, on n'a pas besoin d'être ingénieur nucléaire pour allumer la lumière... Alors fermons les yeux et laissons faire les Alchimistes. Le vin, c'est aussi une question de confiance.

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