C'est l'histoire d'un coup de coeur. Le coup de foudre d'un fils de médecin pour quelques hectares de vieilles vignes, au dessus de Villeneuve-Minervois.
"Je suis tout de suite tombé amoureux de ces Grenaches, raconte Benjamin Taillandier. Elles étaient fantastiques, au milieu des garrigues, sur des schistes magnifiques. Les plus vieilles ont 90 ans. Elles appartenaient à un vieux qui allait les arracher (voir "Arrachage et vieilles rengaines", ndla). "Je vais prendre ma retraite m'a-t-il dit, je n'ai que des filles (sic), qu'est-ce que tu veux que j'en fasse?". Sur un coup de tête, j'ai répondu: "me les vendre". Il a dit chiche. On était en novembre. A Noël, je commençais à les travailler..."
... A crédit.
C'est que si Benjamin a la passion du vin et un BTS "viti-oeno" en poche, ses parents viennent de la ville. Il n'y a jamais eu de vignes dans la famille. C'est une "pièce rapportée" comme on dit dans ces campagnes où l'on ne se mélange guère. Peu importe. A 27 ans, le jeune homme plaque tout, quitte son boulot dans un grand domaine du Frontonais et décide de tenter l'aventure. Sans se laisser impressionner par le peu d'enthousiasme de ceux qu'il rencontre:
"Ça a été un vrai parcours du combattant. Les banques, la Chambre d'agriculture... La course aux subventions. A l'Audasea, l'organisme censé aider les jeunes à s'installer en montant les dossiers, on m'a carrément expliqué qu'on ne croyait pas à mon projet, parce que je n'étais pas fils de vigneron. Ils étaient effrayés de me voir envisager de vendre mes vins 5 euros. Pour eux la cible d'un vigneron qui s'installe, c'est le supermarché. Et des bouteilles aux alentours de deux euros, pas plus.".Oui, mais à ce prix là, dit-il, impossible de passer du temps sur ses vignes, il faut aller vite. Et fort. Tout ce dont Benjamin ne voulait plus.
"J'avais eu l'expérience des traitements systématiques, des levures industrielles et des vendanges mécaniques. Ce n'est pas mon truc. Je ne veux d'artifice ni en vigne, ni en cave. Même s'il faut avoir l'oeil à tout, à l'ancienne, la vigne se suffit bien à elle-même."Un coup de pouce des parents, un prêt à 1%, les Assedics... Et le voilà lancé. Contre vents et facheux précédents.
A ses Grenaches et ses Syrahs, qu'il couve amoureusement, il ajoute vite trois hectares de Cinsault, de Carignan et de Terret Gris, un vieux cépage oublié dont il espère faire un blanc. Puis des Grenaches et des Syrahs encore, mais du coté de Caunes cette fois. Le tout en fermage. Pour une bouchée de pain, il obtient de la mairie une vieille remise. Et, bien sûr: il réquisitionne toutes les bonnes volontés. Les parents, les cousins, les amis participent aux premières vendanges, au "décavaillonage", aux premières mises en bouteille. Ils donnent aussi la main pour retaper la "cave",
qui servira à accueillir les touristes.
"Elle est juste en face de l'Abbaye de Caunes, rigole-t-il. Ca le fait, non?"Au village, les vieux rigolent, sceptiques mais bienveillants. C'est que Benjamin a grandi ici. Du terrain de foot au bistrot, il fait, malgré tout, un peu partie de la famille. Simplement, les retraités de la vigne trouvent le jeunot bien ambitieux avec ses techniques à l'ancienne et ses idéaux de terroir. Lui, persite. Mais ne cache pas qu'il a longtemps eu la peur au ventre:
"C'est vrai que j'ai passé une année un peu rude. Avec mes Assedics et mes emprunts. Parce que je joue gros, hein, faut pas croire! Je commence seulement à bien dormir maintenant que j'ai commencé à vendre mes bouteilles. Évidemment, là, je ne me paie pas, mais j'ai pas besoin de grand chose".Un brin provoc, Benjamin a baptisé "6 Roses" son rosé de syrah. Plus classique, son premier rouge fruité a été baptisé Laguzelle, comme le lieu-dit sur lequel poussent ses Grenaches. Cinq euros tous les deux, comme promis, pour des vins très éloignés des Minervois charpentés qui ont fait la réputation du cru.
"Je voulais des vins faciles, je les ai. Mais les deux autres cuvées, assure Benjamin, seront plus structurées. Le "Viti, vini, bibi" (Grenache, Cinsault et Carignan, 7 euros) attend en cuve. Et puis il y a mes Grenaches et mes Syrahs qui attendent en barrique pour le premier millésime de "Bufentis" (le nom latin de Caunes-Minervois, ndla)."Gourmand, il vous parle déjà de ses vins en vieux briscard. Vante leur fraîcheur, leur finesse et leurs tannins fondus. Très vite, il vous invite à passer le voir pour une de ces soirées tapas qu'il organisera cet été, "histoire de faire connaître (son) travail". Déjà, il rêve de monter un peu ses rendements (30 hecto/h, pas plus) pour arrondir sa production (14.000 bouteilles seulement) et ses fins de mois. Il sait pourtant que la partie n'est pas gagnée.
Et si ça ne marchait pas, insiste-t-on?
"Il faut que ça marche, répond-il. J'ai pas le choix. Je fais ce que j'ai toujours rêvé de faire. Et puis, je ne me vois pas retourner avec un patron. Non... Ça va marcher!"Les petits nouveaux, décidément, ne manquent pas de toupet.
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