Nulle part ailleurs qu'à Pomerol, le merlot ne s'exprime avec autant de verve, de générosité. Une alchimie qui se crée au cœur des plus belles terres d'une appellation particulièrement riche en argiles "gonflantes".
Ici C'est un dôme d'argiles lourdes qui surplombe l'appellation Pomerol. Un mamelon de terres grises qui porte les vignes parmi les plus célèbres du monde. Petrus domine
Le climat tempéré océanique qui baigne la région bordelaise en général, et Pomerol en particulier, donne aux terres de l'AOC
Le vignoble de Pomerol est établi sur quatre terrasses orientées nord-ouest/sud-est. Les croupes de graves s'étagent entre 15 et
- Un plateau (30 à
- Au sud et à l'ouest de l'AOC, une zone de sols sableux filtrants sur une couche plus argileuse. Entre les deux niveaux, on trouve des concrétions ferro-manganiques ou "crasses de fer" sans "plus" agronomique. Ces sols bien alimentés en eau induisent une maturité du raisin plus tardive.
- Les basses terrasses de l'ouest de l'AOC aux sols sableux profonds localement caillouteux. En profondeur : de minces couches argileuses dues au lessivage de l'argile de surface. Le sol poreux et peu fertile permet aux racines de plonger jusqu'à la réserve d'eau.
- Les colluvions de bas de pente et les alluvions de bord de ruisseau portent peu de vignes
Merlot roi
Le nom de Pomerol est indissociable du cépage merlot. Pourquoi le merlot tient-il ici cette place de cépage roi ?
« La plupart des sols de l'appellation contiennent une part importante d'argiles, en surface ou sous les graves, explique Michel Rolland, célèbre œnologue mais aussi vigneron à Pomerol (château Le Bon Pasteur). Ces argiles sont idéales pour le merlot car elles lui garantissent l'alimentation en eau régulière et sans excès dont il a besoin, notamment durant la période de maturation. »
Ainsi, les terres argileuses de Pomerol peuvent avoir une teneur en argile particulièrement élevée: jusqu'à 60 %, alors que les sols argileux n'en contiennent en général que 20 %. Mais il est difficile de considérer le couple sol/merlot pour l'ensemble de l'AOC compte tenu de l'hétérogénéité des sols. Ainsi, la nature des argiles, leur proportion dans le sol et leur profondeur varient d'une zone à l'autre de l'appellation. Et avec cela le régime hydrique des parcelles viticoles.
« C'est précisément le comportement de l'eau dans le sol qui établit leur hiérarchie qualitative. Les différentes natures de sols correspondent davantage à un éventail de typicités », explique Jean-Claude Berrouet, œnologue de Petrus et des dix autres domaines de la maison Moueix.
L'une des particularités des sols de Pomerol : la présence d'argiles "gonflantes", parfaitement illustrée par les terres de Petrus dont « l'atout est le mariage fantastique entre ces argiles gonflantes, le cépage merlot et le porte-grelfè Riparia'" », souligne Jean-Claude Berrouet.
Le plus de ces argiles: leur capacité à conserver l'eau et à la restituer à la plante lors des périodes sèches, tout en assurant aux vignes la contrainte hydrique dont elles ont besoin pour produire des raisins de grande qualité.
Palette d'argiles
Les sols argileux "classiques" sont plutôt des sols froids, humides et donc tardifs sur lesquels les raisins mûrissent lentement, sans contrainte hydrique. De même, les argiles "gonflantes" sont froides au printemps et induisent une maturation lente des raisins. Mais l'été, malgré leur humidité, elles provoquent une contrainte hydrique (et non pas un stress hydrique, plus fort et néfaste en terme de qualité du raisin) qui accélère la maturation des baies.
Pourquoi ?
« Parce que les smectites qui composent en grande partie ces argiles retiennent très fortement l'eau et la rendent disponible pour la vigne. I’ eau est présente dans le sol mais la plante a du mal à l'absorber. Ainsi, les argiles "gonflantes" sont des terres viticoles plutôt précoces. Les raisins y mûrissent seulement trois à quatre jours après ceux des terres graveleuses », explique Kees Van Leewen, agronome, professeur à l'École nationale d'ingénieurs des travaux agricoles de Bordeaux (Énitab) et spécialiste des terroirs viticoles.
Pomerol concentre la majeure partie des argiles "gonflantes" de la région bordelaise. Mais on en trouve aussi dans certaines zones de Saint-Emilion, du Haut-Médoc et du Sauternais. « Cabernet-sauvignon (château Latour), cabernet franc (château Cheval blanc) ou sémillon (château Yquem) arrivent parfaitement à maturité sur ces argiles précoces et donnent de superbes vins. Ce type de sol transcende les cépages », souligne Kees Van Leeuwen.
Un sol viticole exceptionnel et rare puisqu'on le retrouve seulement sur quelques centaines d'hectares dans tout le vignoble bordelais, à comparer à
Graves, argiles et sables Au-delà de ces argiles "gonflantes", la majorité des sols de Pomerol sont des terres graveleuses, plus ou moins sableuses et argileuses .
Le cépage
Cépage secondaire avant le XIX' siècle, le merlot est aujourd'hui dans le Libournais et à Pomerol en particulier (70 % de l'encépagement) le cépage roi. Il affectionne les terres qui restent fraîches l'été et qui lui assurent une alimentation régulière en eau car il réagit plus finement aux variations climatiques que son parent le cabernet-sauvignon. Par ailleurs, la période durant laquelle sa maturité est optimale apparaît plus réduite que pour le cabernet-sauvignon. Vigoureux, le merlot se marie parfaitement avec le porte-greffe Riparia, selon Jean-Claude Berrouet de la maison Moueix (propriétaire de Petrus). « Globalement, le greffage a donné au merlot des vertus qu'il n'avait pas en pied franc: il est ainsi moins sensible il l'oïdium et il la coulure. En outre, le porte-greffe Riparia tempère sa vigueur. » L'aspect de ses grappes: moyennes, cylindriques et lâches. Ses baies sont sphériques, petites à moyennes, de couleur bleu noir et à la peau moyennement épaisse. Par ailleurs, les argiles de l'appellation ne sont pas toutes "gonflantes" et celles qui le sont, le sont plus ou moins. Cépage précoce sur terre précoce, le merlot appréhende les étés de plus en plus chauds et secs. Casser l'enherbement, limiter le travail du sol pour éviter l'évaporation, limiter la taille des sillons de butage pour que l'eau s'écoule plus lentement: autant de choix qui permettront au merlot de ne pas souffrir du manque d'eau les années chaudes. À moins que les cabernets gagnent du terrain ...
Dans cette zone appelée "Tropchaud", les températures sont très élevées en été, mais les sols du plateau argileux conservent l'humidité dont les vignes ont besoin.
Outre la nature des sols, la topographie et la présence de nappes d'eau souterraines jouent sur le régime hydrique des terres viticoles et la maturation des raisins.
Un exemple dans les vignes de Jérémy Chasseuil, vigneron à Pomerol depuis 2000
(château Feytit-Clinet). « Cette parcelle est constituée de graves en haut et de sables relativement riches en bas. Les merlots sur graves sont mûrs une semaine plus tôt que les merlots sur sables. Dans la partie plus sableuse, les vignes ne manquent jamais vraiment d'eau car elles peuvent puiser dans les nappes d'eau souterraines. » Un confort qui induit une vigueur importante et une maturation plus lente des raisins. C'est pourquoi Jérémy Chasseuil laisse désormais sur ces sols sableux un enherbement naturel qui permet de limiter la vigueur des vignes et de favoriser la maturation des baies. « En 2003, ces sols sableux m'ont été précieux, explique-t-il. Les vignes n'y ont pas souffert alors que sur les sols de graves, certains pieds se sont bloqués suite au manque d'eau, donnant ensuite des vins sans gras, avec de la verdeur, plus standards. »
De même, au château de Sales, les vignes sur sables ont globalement peu souffert en 2003. «Les sols sont très facilement traversés par les racines qui, du coup, peuvent plonger assez profond pour atteindre les nappes d'eau », souligne Bruno de Lambert.
Les sols riches en argiles ont également la capacité de limiter les effets du manque d'eau. « Les argiles des graves du plateau permettent au vin de garder de la fraîcheur même les années chaudes, commente Dominique Techer, qui s'occupe avec Claire Laval du château Gombaude-Guillot et du Clos Plince. En 2003 par exemple, à Gombaude-Guillot, certains grains et feuilles ont grillé au soleil alors que l'alimentation en eau s'est poursuivie. »
« I’ argile donne de la fraîcheur et de la profondeur aux vins. Les graves les rendent plus chaleureux et sensuels. Les vins issus de sols plus sableux, comme ceux de Clos Plince ont un équilibre plus sudiste. Pomerol fait la synthèse entre ces traits de caractère », résume Claire Laval.
Chaud et froid
Même à deux pas les unes des autres, les parcelles peuvent donner des raisins et des vins aux expressions très différentes. « Les sols de la Fleur Petrus, tous proches, sont plus graveleux et moins froids que ceux de Petrus, décrit Jean-Claude Berrouet. À vinifications égales, le vin de Petrus sera toujours plus dense, profond et sombre que celui de la Fleur Petrus. » Voici de quoi justifier deux vinifications distinctes ... « Souvent, la cuvaison est plus longue à La Fleur car le vin est plus filiforme. Je ne peux faire de même à Petrus de peur de perdre en finesse. Car si les cuvaisons sont trop longues, les polyphénols changent et l'on retrouve dans les vins des arômes ligneux. Globalement, on peut dire que plus c'est chaud, plus on extrait.
J’évite, par exemple, de faire les fermentations malolactique en barrique car cela crée selon moi des standards aromatiques avec des goûts de torréfaction et un excès de structure. »
Jérémy Chas seuil souhaite aussi faire du sur mesure selon la nature de ses vignes et leurs terres d'origine. « Les cabernets francs, par exemple, méritent une cuvaison plus courte que les merlots car leurs tanins sont plus durs que ceux des merlots. Par ailleurs, les merlots s'accommodent d'une cuvaison variable selon qu'ils viennent de terres plus ou moins précoces. Ainsi ils ont des tanins plus musclés s'ils viennent de terres tardives: leur cuvaison est alors écourtée. »
Pour garder le fruit de ses vins , de sables et de petites graves sablonneuses, Bruno de Lambert limite les cuvaisons, privilégie les températures modérées et adapte le passage du vin dans le bois (5 % de neuf) de 0 à 9 mois par périodes de 3 mois en alternance avec l'inox, selon le millésime, le cépage et la parcelle d'origine. « Le but est toujours de respecter le potentiel du vin et d'exprimer sa personnalité. », conclut-il .
Source :
http://www.chateau-de-sales.com/
Septembre 2007 LA REVUE DU VIN DE FRANCE
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