A quelques jours des Réveillons, les bulles sont de sortie. C'est le moment d'une petite escapade dans l'Aube, l'autre pays du Champagne. Hélène et Bertrand Gautherot y élèvent avec une même passion leurs enfants et leurs vignes. Fidèles à leurs convictions. Fidèles, tout court.
Dans les bras de Sorbée.
Longtemps il a fallut se battre pour dégotter une bouteille de Vouette-et-Sorbée. 10.000 quilles les bonnes années... La maison était vite à sec. Désormais, avec la construction d'une nouvelle cave, enfouie sous la colline de Bar-sur-Aube, les Gautherot peuvent voir (un peu) plus grand. Mais l'état d'esprit reste le même: ici, on sert d'abord les habitués. Ceux qui ont soutenu la démarche dés les premiers millésimes.
Ce matin-là, Bertrand Gautherot, yeux pétillants et bonnet éternellement vissé sur le crâne, attend justement un des piliers du club: le caviste japonais Hideaki Kito, un des premiers à être tombé amoureux de ses cuvées.
"J'ai toujours voulu faire du raisin, raconte ce fils de vigneron. Mais mon père a pris son temps pour me passer la main. Alors j'ai fais un détour par l'industrie du luxe...Tu vas pas le croire, mais j'étais concepteur d'étuis de rouge à lèvres en élastomère. Je faisais travailler les chimistes et je vendais du cosmétique...".Loin de ses bases et de ses convictions, c'est sûr. Lorsqu'enfin son père lui passe le relai, il tourne donc le dos sans aucun regret à l'univers du luxe. Nous sommes en 93. Lui le "bio de bio" va enfin pouvoir faire vivre ses idées, grandeur nature. Son credo est simple mais radical: il faut tout changer, tourner le dos à l'industrie et faire enfin un Champagne fidèle à sa nature:
"Je venais d'un univers où tout est en toc. Fabriqué. Je me suis dis: "attends! On est en Champagne, championne du monde des engrais et des pesticides à l'hectare... Et on dit qu'on vend du beau? Du bon? Ca ne colle pas... C'est malhonnête". C'est comme ça que j'ai basculé. J'ai arrêté tous les traitements. J'ai eu envie de rendre la vigne à la Terre et d'accepter ce qu'elle me donnerait"
Année après année, Bertrand et Hélène bousculent les habitudes locales. D'abord, il font du raisin bio pour la coopérative. Puis il achètent des vaches et rêvent à haute voix du grand retour du cheval dans les vignes. Les animaux fournissent le compost. Bientôt, ils passent à la tisane d'ortie pour fortifier les ceps et Bertrand, qui bricole sans cesse de nouveaux engins, met au point un brumisateur artisanal pour vaporiser de la silice et du cuivre dans les vignes. Rien que du naturel. A dose homéopathique.
"Et du temps! Beaucoup de temps passé à la vigne... Précise-t-il. La bio-dynamie, c'est pas un but en soi... C'est un chemin. Le but c'est de faire du bon sans jamais cesser de faire du vrai. Surtout ne pas tricher..."
99, nouveau tournant. Sur les conseils,d'Anselme Selosse, une des stars du cru, les Gautherot sautent le pas: ils décident de vinifier eux-même leurs raisins. En 2001, c'est le premier millésime de Vouette-et-Sorbée (la maison porte les noms des deux lieudits où poussent la plupart des vignes). La première cuvée est baptisée "Fidèle". Puis viennent "Blanc d'Argile" et la "Saignée de Sorbée".
Rien que de l'extra-brut, of course. Pas question de sucrer le vin. Pas plus qu'il ne faut, en tout cas, pour faire naître les bulles. Pas question non plus d'ajouter la fameuse liqueur d'expédition... Là dessus aussi, Bertrand est un puriste:
"En fait c'est toujours la même chose, explique-t-il. A la fin, avant de mettre le bouchon, la plupart des producteurs "rectifient" le vin. On dit qu'ils le "dosent". On fait ça avec une liqueur, qui va donner un goût sucré, un goût maison. Moi, je pense que c'est le terroir, le goût maison... Donc je fais des vins crus, pratiquement des produits frais. Si on le laisse vivre, c'est vachement généreux un vin! Formidablement généreux..."Et voilà comment, en une décennie, Bertrand et Hélène ont réussi à conquérir leur monde. Des cavistes passionnés, de grande tables... Et le Japon de monsieur Kito. Cette année encore, cet habitué aura son compte de bouteille. Quitte "à faire râler l'importateur officiel", plaisante Hélène. Question de Fidélité. Et là-dessus, on l'a compris, la Maison ne plaisante pas.
A propos des Gautherot, on peut lire aussi "Comme un gamin", "Vaillant champenois" et "Pegase aux vignes", sans oublier "Tisanes d'orties et autres contes".
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