Muscadet
Plusieurs fois dans son histoire, depuis les premiers moines, le vignoble du muscadet s’est trouvé confronté à des catastrophes naturelles ou commerciales. Il a toujours su s’adapter.
Les cépages plantés étaient jadis nombreux, en particulier des rouges comme l’auvernat (le pinot noir, qui perdure dans l’Orléanais), le breton (qui n’est autre que le cabernet franc) et le berligou, mystérieux cépage d’origine méridionale. Le melon, après avoir quitté sa Bourgogne natale (il en existe encore à Vézelay), où il était très prisé au XIIIe siècle, et remonté la vallée de
À quelque chose malheur est bon !
Puis arrive le terrible hiver de 1709 où, du 5 au 24 janvier, il gèle jusqu’à
La pénurie de vin engendre alors « une fureur de planter », comme l’écrit l’historien Marcel Lachiver, et fait flamber les prix. La catastrophe de 1 709 pousse les vignerons nantais à replanter en sélectionnant les cépages les plus intéressants : ce sera surtout le melon, ainsi que la folle blanche.
Nouveau coup de poignard dans le dos, au XVIIIe siècle : alors même que les vins nantais s’exportent bien, les armateurs et négociants se tournent vers le sinistre commerce « triangulaire » (traite des Noirs d’Afrique vers ’Amérique et l’Antilles, retour en produits coloniaux) qui fera leur nouvelle fortune. Heureusement, les Hollandais s’intéressent aux vins de Loire et achètent surtout les blancs. Ils distillent la folle blanche pour produire de l’eau-de-vie (il ne faut pas oublier que le cognac et certains armagnacs sont élaborés à partir de ce cépage) et ils mutent (par ajout d’eau-de-vie) le muscadet pour éviter qu’il ne se gâte pendant le transport…
La barrière douanière d’Ingrandes-sur-Loire (entre Angers et Nantes) taxait alors fortement les vins angevins, contraignant ainsi les vignerons à pratiquer des prix élevés.
En aval de cette barrière, le muscadet pouvait se permettre de produire abondamment à prix avantageux : au port du Pallet, 30 000 fûts se dirigeaient alors annuellement vers l’Europe du Nord.
En 1884,
Décade prodigieuse et descente aux enfers
1936 voit la naissance des AOC Muscadet Sèvre-et-Maine et Muscadet Coteaux-de-la-Loire. 1937, celle de l’AOC Muscadet. Bien plus tard, en 1994, c’est le tour du Muscadet Côtes-de-Grandlieu. Chaque appellation est limitée à une aire de production bien définie et doit veiller au respect des règles de production susceptibles de garantir la qualité des vins.
Le muscadet est produit actuellement sur
Aujourd’hui, de nombreux domaines touchent le fond.
Le négoce trop présent – il occupe plus de 80 % du marché – fait sa loi : vendre au plus bas prix sur les linéaires des hypermarchés. L’été dernier, nous avons trouvé en supermarché un muscadet (sans nom de négociant, ni adresse, ni millésime) à 1,50 Û! On n’ose pas penser à quel prix ce vin a été acheté au vigneron!
Pris à la gorge par le négoce, les jeunes vignerons finissent par abandonner le métier et arrachent leurs vignes, et pas toujours sur les terroirs les moins appropriés. L’un d’eux nous a confié que les hypermarchés envoient des techniciens pointus qui proposent un cahier des charges très exigeant avec à la clé un prix du vin plus intéressant que le négoce local. Le vigneron investit et fait des efforts, mais les techniciens trouvent toujours « le grain de sable » qui déroge au contrat et l’annule : au final, le vin est rétrogradé au prix du négoce ! Les jeunes vignerons qui s’en sortent sont en général ceux qui ont plusieurs générations derrière eux, avec une clientèle particulière fidèle.
Les voies du salut
À bien écouter les vignerons, plusieurs solutions semblent néanmoins émerger pour faire face.
D’abord,
C’est un terroir de gabbro (roche éruptive), avec des parcelles de vieilles vignes sélectionnées, des rendements limités et un élevage sur lie de 24 mois minimum en petites cuves souterraines. La voie est donc tracée : d’autres erroirs suivront. Depuis 2003, 90 vignerons se sont engagés sur un cahier des charges permettant d’exprimer la personnalité des parcelles intéressantes : vignes d’au moins 16 ans, rendements maximum de 47 hl/ha, élevage de 17 mois minimum. L’agrément du vin est attribué par un jury d’experts, sous condition que la mise en bouteille soit faite dans les 2 mois qui suivent. Une contre-étiquette explique cette démarche sur les bouteilles.
L’idée semble attrayante, encore faut-il que les vignerons jouent sérieusement la partie.
Les traitements à outrance contre le mildiou et l’oïdium ont fini par renforcer la résistance de ces ennemis de la vigne. Quelques vignerons ont pris conscience de cette situation. Ils reviennent au labour et se dirigent vers une culture biologique ou biodynamique qui porte ses fruits. Goûtez les vins de Guy Bossard, de Jo Landron et de quelques autres : le muscadet n’est pas mort ! Il n’a pas dit son dernier mot.
Trois grandes familles de terroirs résument cette mosaïque.
Les sols sableux, autour du lac de Grand-Lieu, produisent des muscadets qui mûrissent précocement, des
Les sols composés de roches basiques – multiples aspects de la complexité de la roche-mère, tels les gabbros,
Parler sols et sous-sols ne doit pas nous faire oublier les expositions de parcelles, les pentes, les zones boisées ou les différentes formes de présence de l’eau (océan, lac, Loire ou rivières comme
L’appellation Muscadet Coteaux-de-la-Loire offre – à
Muscadet Sèvre-et-Maine, la plus réputée en terre nantaise. La diversité presque infinie des terroirs ne
Des pratiques qui se cherchent encore Après le triomphe du désherbage chimique et des traitements
Sur la presque totalité du vignoble, les vendanges sont mécaniques. Seuls quelques rares vignerons vendangent
Quant à l’origine de la « mise sur lie », qui est aujourd’hui la pratique caractéristique du Muscadet, elle remonterait à la fameuse « barrique de noces ». Au début du XXe siècle, les vignerons nantais gardaient leur meilleure barrique pour les fêtes et les grands évènements familiaux. Le vin, conservé sans soutirage, restait frais en bouche et possédait un bouquet complexe. En fait, le vin conservé sur ses lies fines de l’hiver au printemps exhale tous ses arômes et ses composés sapides. Et il garde sa fraîcheur grâce au gaz carbonique né de la fermentation. Cette présence protectrice du gaz évite – en principe – de trop sulfiter le vin.
La mise sur lie est codifiée depuis 1977 : le vin doit être embouteillé obligatoirement entre le 1er mars et l
30 novembre qui suit la récolte. Ainsi les muscadets élevés 4 ou 5 ans sur lies, dans le Gorgeois par exemple, perdent leur mention « sur lie ».
Au cours de nos dégustations, les exemples d’élevage en fûts neufs ou récents nous ont semblé mal maîtrisés. Le bois occultait trop le vin. Il faudrait sans doute n’utiliser que des fûts anciens et de grosse contenance, peut-être les demi-muids d’autrefois (j’ai souvenir de la qualité des muscadets élevés en fûts par Georges et Jeannette Dabin, à
Enfin, il faut signaler des essais de fermentation malolactique sur certains vins, qui donnent des muscadets souples, déroutants, presque atypiques mais non dénués d’intérêt.
Source : « le rouge et le blanc »N 77,
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