Pas question ici de désherbant, pas question non plus de jouer du tracteur sur les coteaux étroits et pentus des Corbières. Et parce que labourer à l'automne favorise le ruissellement et l'érosion, explique le vigneron, la solution s'est imposée tout naturellement :
"Evidemment j'aurais pu passer le chenillard, une ou deux fois de plus... Mais je m'étais mis en tête d'éviter le tassement des sols. De laisser respirer tout ça... Résultat la première année, je me suis retrouvé en mars avec de l'herbe au dessus des pieds (de vignes, ndla) ! Il a fallu se la coltiner, débroussailler. C'est là, en m'inspirant de l'exemple de Didier Barral (Domaine Léon Barral, ci dessous à gauche, du coté de Faugères), que j'ai pris mes premières brebis, des "Rouges du Roussillon". Après sont venues les deux tarasconnaises et trois encore achetées au domaine de Fontude... Puis l'âne, rescapé d'une ferme de randonnée qui n'a pas pris, du coté de Saint Chinian. Et enfin Camomille... C'est drôlement efficace. En quinze jours, ils m'ont tondu les deux hectares de Carignan. Tondus, tout rapés, à nu... Et puis il y a l'engrais naturel, ajoute-t-il mi-sérieux, mi-goguenard... Sous la bouse, il y a de la vie..."De la mi-novembre aux premiers bourgeons de vigne, du coté d'avril, le tout nouveau berger trimballe donc son troupeau, de parcelles en parcelles, à bord d'une bétaillère des années cinquante, rachetée elle aussi à petit prix.
"Après évidemment, il faut les sortir de là, rigole-t-il. Parce qu'entre de l'herbe de montagne et un bourgeon bien croquant, elles n'hésiteraient pas longtemps. Et elles auraient tort de se priver!"En attendant, les unes après les autres, Maxime Magnon s'en va cloturer ses neuf parcelles (sur 11 hectares...) pour profiter à plein de la "puissance de tonte" de ses nouvelles recrues. Accessoirement, le fil électrifié empêchera aussi les sangliers de venir défoncer ses Carignans, là haut du coté des schistes. Et lorsqu'il passe la nuit, comme ça lui est arrivé à Noël, à tenter de remettre la main sur des brebis fugueuses, il revient encore le sourire aux lèvres, parce qu'elle lui ont fait découvrir là haut, sur des pentes improbables, de "nouveaux endroits, des coins fantastiques, des vues sublimes"...
On peut en sourire. Maxime, qui fait tout très sérieusement mais ne manque pas d'humour, ne se vexera pas. Aux esprits moqueurs, il se contente de rappeler qu'il faut n'a "rien inventé" :
"Tout ici est dicté par le relief... Le chenillard plutôt que le tracteur parce que le vignoble est étroit, les bêtes parce qu'elles étaient là, comme à Pauillac, bien avant l'invention des désherbants. Dans les années trente il y a eu ici jusqu'à 70 chevaux, un maréchal ferrand... Avant-guerre, chaque famille du village avait ses brebis et le berger du village paturait la rivière, les collines. Maintenant, l'été, ce sont les miennes qui nettoyent les berges"Intarissable, soudain, Maxime-le-tranquille attrape sur une étagère un vieux livre de photos du canton de Durban, édité par le Conseil Général de l'Aude. "Opération Vilatge al pais", dit la couverture. Ce bourguignon de 33 ans, fils de militant syndical de la Bresse, a littéralement adopté ce petit village où il est venu s'installer il y a six ans.
"J'y suis très attaché, c'est vrai. Ca me plait. Ici le temps passe différemment et faudrait pas trop que ça change. C'est pas si mal. C'est protégé."A la télé, ce soir là, chez Moati, Olivier Besancenot égrènera toute les raisons de se mettre en rogne, la disparition des services publics, des postes de village. Maxime Magnon partage ce regret là, mais sans la colère. Et lutte à sa manière, sans doute, contre la lente disparition d'un monde :
"Peut-être... Pour autant, je suis pas du tout un bio-extrémiste ou un "soixante-huit -trop-tard"... Le baba-cool c'est pas mon truc. Je veux vivre de mes vins. Je suis pas Ayatollah pour deux sous. Je sais bien que pour les gars d'ici l'invention des produits chimiques ça a été une bénédiction. Presque magique... Quand tu vois les efforts que demande ce territoire... Et j'ai plus de respect pour mon voisin de la cave coopérative qui desherbe chimiquement mais avec mesure (selon les techniques de l'agriculture dite "raisonnée", ndla) que pour un gars qui se la joue bio, vend ses bouteilles la peau des fesses... Et refile des produits chimiques en douce quand ça tourne mal... C'est pas une bagarre. Moi, Je ne ne suis pas en mission, je ne suis pas berger non plus. Je crois seulement que les bons gestes ont sauté une génération. qu'il faut aborder ça avec simplicité, tranquillement. Je suis vigneron et je trouve que tout ça fait du bien à mon exploitation, à mes vignes, à mon vin. Dans ce sens là, Je suis bien moins militant que d'autres, bien moins engagé que mon pote Didier Barral par exemple, de qui je me suis vraiment inspiré. Mais sans aller aussi loin. La suite on verra. Mais c'est vrai que l'idée de remettre un peu de polyculture dans une région qui n'a que la vigne et la garrigue ne me déplait pas. J'ai pas l'ambition de sauver la planète, tu vois...".Il marque une pause, jette un regard circulaire à ses bêtes. Le soir tombe sur les Corbières. Il commence a faire franchement froid. Les brebis se sont serrées les unes contre les autres sous un petit arbuste. Sur le bord du chemin le vieux chenillard, un Saint Chamond 68 bleu et jaune, attend son heure.
"Non, ajoute-t-il. Ma seule ambition c'est de faire du vin avec mon temps. Comme je le sens".Tranquille.
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