"Moi aussi, dit le champenois, mes vinifications patinent! Ou peut-être est-ce moi? En tout cas, dans le chai l'ambiance est molle. Les Chatel ont fini leurs sucres mais sentent encore fort le gaz. Le troupeau de barriques est distrait, flegmatique. Il y a vraiment de tout. Le plus douloureux c'est que le vin est contagieux. Moi le fonceur, je suis immobilisé et pantois. Je ne sais pas réagir. Ça me vide! C'est comme une fièvre qui durerait trop longtemps... Pas fameux comme ressenti."
Il a tout essayé, dit-il: il a même introduit un tuyau au fond de ses barriques et "soufflé" quelques fûts à la pompe à main pour activer les fermentations. Alors, comme pour se rassurer, l'homme de Vouette-et-Sorbée phosphore. Sur la vigne. Sur le vin. Sur l'histoire. Lui qui milite pour une viticulture 100% naturelle ne peut s'empêcher d'imaginer qu'il faut aussi réinventer complètement la façon de vivre les vinifications.
"Refaisons le chemin, explique-t-il patiemment comme pour lui-même. 1960: avènement des engrais chimiques. Suivent les herbicides et les fongicides. 1980: l'oenologue débarque. 1990: il est incontournable. Alors si l'on reprend du début: est-ce que ce sont mes vinifs qui patinent? Ou est-ce qu'elles ne sont que ce qu'elles doivent être? Sans idéaliser le vinaigre, pourquoi stresser à l'excès le vin pour le faire rentrer dans des cases préconçues? Nous sommes à un virage. Et nous ne sommes certains que d'une seule chose: le temps ne respecte pas ce qui ce fait sans lui. Alors du calme!".
Et il ajoute, rasséréné, soudain:
"En tout cas, ce sera une grande année pour mon apprentissage."Bertrand dormira-t-il mieux ce soir? Pas sûr. Mais lui qui s'enthousiasmait il y a quelques semaines à la vue de ses premiers jus, s'est trouvé à la force des mots de bonnes raisons de continuer à y croire. Le métier de vigneron a aussi ses grands moments de solitude.
A ce propos lire aussi: "Le temps des Alchimistes".
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