mardi 7 février 2012

Le "Chet" de Seguret


C'était un soir très doux. Nous nous étions serrés à quatre autour d'une table étroite, dans une rue étrangement calme de Vaison-la-Romaine. L'endroit portait un nom prédestiné: "Le Bonheur suit son Cours". Un mélange de cave à vin nature et de bistrot de terroir. Il y a avait là Marcel (Richaud) et Frédéric (Alary). Jean, venait de nous rejoindre, sa casquette vissée sur le crâne et les doigts encore tachés de terre et de raisins.

Jean David a une gueule à la Chet Baker. Un visage tanné, creusé de profonds sillons, marqué par les vents et la vie (photo Vinogusto). Des mains épaisses et sèches. Comme le "Chet", le vigneron de Séguret porte souvent un pantalon de cuir. Mais il a ce regard bienveillant que n'a jamais eu l'enfant terrible du jazz.
"Janot c'est notre guide, résume Marcel. Le premier d'entre nous à avoir emprunté les voies du bio, il y a plus de trente ans. C'est un pur. Notre aiguillon. Celui qui nous a tanné pour ne pas nous arrêter en route. Pour aller au bout de la démarche."
En ce début de soirée, le pionnier de Séguret se contente de sourire et de laisser les autres raconter sa vie. Une gorgée d'un rouge de Loire inattendu, trouvaille de Xavier le maître des lieux, et Jean lâche enfin de sa voix grave et ensoleillée:
"Je crois juste qu'on ne peut pas faire le chemin à moitié..."
Et de la route, il en a fait. Fils de vigneron mais adepte de Kerouac, il a commencé par les chemins de traverse. Sans doute Séguret est-elle alors trop petite pour ses rêves. Il largue les amarres sans prévenir et prend la route de l'Egypte. Mi-Chet mi-Ché, il fait sa révolution à lui. C'est un rebelle comme 68 les a aimé.
"Janot ça a été un terrible, résume Marcel Richaud. Mais, comme je dis toujours, c'est un homme Bon".
Lorsque de longues années plus tard il finit par retrouver le chemin de la vigne, son père, ancien dirigeant de la coopérative locale, a vendu une partie des terres familiales. Il s'installe donc en fermage sur les terres de sa tante. Là, c'est dit, il fera du bio et rien d'autre. Pour ce qui touche au raisin, le pur est aussi un dur.
"A quoi bon faire des concessions? dit-il encore aujourd'hui. C'est comme ça que je veux faire. C'est comme ça que je veux vivre. Pourtant je m'améliore. Longtemps j'ai été têtu... Compliqué parfois. J'ai fait mes expériences. Maintenant j'épure : je veux retrouver mon fruit, me rapprocher de mon terroir."
Trente ans plus tard, tout découle encore de cette force devenue tranquille, de cette philosophie qui coule comme son vin. Bon an mal an, vaches maigres ou grasses (c'est rare), Jean a continué de travailler la plaine de Séguret à sa manière. Pas pour le profit mais pour l'amour de son terroir. Les galets de Montmirail et les limons des terrasses de l'Ouvèze font le reste.
"Je suis de là. C'est mon pays. De la vigne, je n'ai rien connu d'autre", dit-il désormais avec bonheur.
Avec passion, souvent à la main, il décline ses 17 hectares en sept cépages méridionaux et autant de cuvées dominées par les Grenaches. Du Beau nez, simple et rond à un Couchant plus complexe, son vin est comme lui : sans concession, mais sans aucune autre prétention que de donner du plaisir.
"Mais assez parlé de moi, dit-il soudain. Et toi comment tu es venu au vin?"
Les rôles s'inversent. A son tour "Janot" veut tout savoir, tout connaître. Le journalisme, Paris, la politique... Tout l'intéresse. Il écoute patiemment, sans a priori. Sans jugement préconçu. Il a son idée, sans doute, mais laisse parler l'autre avec une attention infinie. C'est rare.

Sur la table une nouvelle carafe mystère vient d'arriver. La soirée sera longue.

Le bouchon de liège: une tradition encore populaire

On a beau entendre parler des bienfaits de la capsule à vis, il n'en demeure pas moins que le bouchon de liège a encore son lot d'adeptes. Certains bouchons de plastique sont tellement difficile à extraire de la bouteille qu'on se demande parfois si il n'est pas préférable à ce moment là de boire une bière! Plus sérieusement, une étude récemment effectuée pour le compte de la Fédération française des syndicats du liège révélait des faits assez intéressants. En France, 79% des français déclarent préférer le liège aux autres alternatives en guise de bouchon sur les bouteilles de vin. Cette étude confirme toutefois qu'il y a une plus grande indifférence chez les jeunes de 15-24 ans qui estiment sans importance le type de bouchon utilisé.

Comme le précise le site Viti-Net qui élabore sur cette étude il y aurait au moins 5% des bouteilles qui sont concernées par le goût de bouchon. On croît que chaque type de bouchon est amené à trouver son marché dans un contexte d'évolution et de démarcation.

Asterix en Tariquet


Tout commence par un petit message laissé sur un site d'adeptes du vin bio. Un mail, presque touchant, posté un beau soir de 2007, comme on lance une bouteille à la mer :
"Bonsoir, est-il écrit, je viens de découvrir votre association (les vins naturels, ndla) et du fond de ma Gascogne, je ne pensais pas que ça existait. J’essaie avec mes petits moyens depuis 2001 de travailler mes quelques barriques de cette façon là. J’aurais aimé être membre. Acceptez-vous d’autres vignerons, quels sont vos critéres pour adhérer ? Merci de me répondre. Je m’appelle Dominique ANDIRAN , du domaine Haut Campagnau à Montréal (32)."
L'histoire ne dit pas si il lui a été répondu.

Elle raconte bien en revanche le besoin de renfort (et de réconfort?) de ces vignerons qui, chacun sur leur bout de terre, à travers le pays, tentent de faire du vin sans sacrifier aux standards et aux normes. Selon des méthodes qui font débat. Parfois vivement... Cercles, forums, associations, réseaux amicaux... Plus ou moins tranquilles, plus ou moins radicaux. Parfois un brin sectaire? Tout est bon, en tout cas, pour se sentir moins seul.

Intrigué, je cherche donc notre Robinson sur le net.

Andiran... Haut Campagnau... Clic...

Je découvre vite l'homme et ses 18 hectares (ci-dessus fin janvier), coincés entre de très grands de l'Armagnac et l'impressionnant Chateau Tariquet. Des hectares cultivés en bio entre des alambics centenaires et le plus grand domaine viticole d'Europe... Un journaliste ne pouvait pas rester totalement insensible à un si beau "cliché".

Un clic de plus et voilà notre Asterix des coteaux Gascogne, tel qu'en lui-même, accent du Gers et grand sourire interrogé, par les confrères de bkwine (voir vidéo plus bas):
"Moi je suis un vigneron, explique-t-il. J'aime beaucoup passer du temps dans les vignes. Je suis d'abord éleveur de raisin. Après si le raisin a été bien élevé, le vin, ça marche tout seul".
Au loin, on imagine la rumeur des machines qui se relaient sur le millier d'hectares du Chateau Tariquet (photo de droite). Le cliquetis des dix millions de bouteilles qui sortent chaque année de ses chais: "Un projet industriel mais cohérent, m'a prévenu l'ami Jean-Baptiste, ça se respecte". Ici tout le monde, Dominique Andiran compris, reconnaît qu'en relançant le domaine il y a 25 ans, le "copain Grassa "a réveillé le Gers". Il a ressuscité le vin dans cette région où l'Armagnac faisait figure de Dieu unique. Mais tout de même... Quel choc des cultures !

Chez les Andiran, pas question de ces techniques qui ont fait le succes industriel et commercial du voisin. Les uns travaillent des Chardonnay, Chenin ou Sauvignon qui font leur fortune à l'export, rachètent des milliers d'hectares en Roumanie. Les autres, au contraire, s'apprètent à passer de 18 à 8 hectares. Ils sortent à peine 20.000 bouteilles par an. Et s'ils ne s'interdisent rien (Chardonnay, Merlot), ils préfèrent plonger profondément dans les racines du cru. En dix ans, Dominique Andiran, ancien moniteur de voile reconverti dans le vin, a replanté certes... Mais beaucoup de ces vieux cépages gascons aux noms oubliés : Colombard, Manseng, Muscadelle et autres Petits Courbus.

Et il cultive à l'ancienne...
"Je suis un feignant, m'expliquera plus tard Dominique. C'est le raisin qui fait le boulot. On va travailler avec des levures indigènes. Jouer avec les lunes pour les soutirages et les mises en bouteille (selon les méthode des la bio-dynamie, ndla)... Parce que lorsque la lune descend, l'attraction terrestre est plus importante. Donc la matière est attirée au fond. Comme ça, je ne tire que du clair. Ca évite le collage et les filtrations. Moi, je veux le moins d'intervention possible pour laisser la nature s'exprimer. Après, ce que j'ajoute, c'est une fermentation longue en barrique : jusqu'à 2 ans, selon les vins."

Et au delà des polémiques, le résultat est là...

Surprise : ce bougre de gascon a même ses fans. Sur Lapassionduvin, entre une dégustation de Tariquet justement et un Uby 2004, son "Soyeux d'Hiver" (15 euros) déchaîne l'enthousiasme d'un connaisseur. Le raisin, explique-t-il est récolté de la Toussaint à Noël, par vendanges successives. Il est ensuite pressé dés que la température descend sous zéro pour garder toute l'eau du fruit, selon la méthode des ice-wines. Une merveille me confirme Jean-Baptiste Senat.

Plus loin, aux cotés d'un grand nom de l'Armagnac, c'est son "Montis Regalis" (5 euros) qui suscite l'admiration du très germanique reporter du Stern. Un clic encore, sur le Monde.fr , et c'est son "Magnus" (5 euros) qui fait à son tour le régal d'un critique gastronomique. Dominique Andiran raconte dans un éclat de rire que "ce vin de picole", il l'a fait sur commande, pour son ami Bernard Daubin (à gauche), le chef de Montreal-du-Gers. C'est son fameux "petit rouge qui vient réveiller les papilles".

A ceux là, il faudrait ajouter le "Ruminant des vignes", une vendange mûre de Gros Manseng, sèche comme un coup de trique et vieillie en barrique pendant deux ans. Il faudrait aussi dire un mot de ce "Pissenlit" qui rappelle diablement un vin jaune du Jura. Mais c'est une autre histoire. Et une preuve de plus qu'en fait de Robinson, notre gascon est bien loin de vivre sur une île déserte...


Cairanne: qui l'eût Cru?


Des années que l'ami Marcel Richaud se bat pour faire reconnaître les vins de son village. Des années à peaufiner ses cuvées d'une main en unissant, de l'autre, ses voisins vignerons. Des soirées à potasser, avec les collègues, les dictionnaires administratifs, les normes de l'INAO et les décrets européens. Une décennie, en somme, pour faire de Cairanne plus qu'un "Cote-du-Rhone-village" parmi d'autres... Pour en faire une Appellation d'Origine Contrôlée. "Un Cru", comme il dit avec des étoiles dans les yeux.
"Cette fois, on est proche du bout, confirme Denis Alary, le Président du syndicat des vignerons. C'était le parcours du combattant. Mais d'ici quelques semaines se tiendra l'ultime réunion de commission. Ensuite, il faudra délimiter le territoire de l'Appellation... D'ici deux ans ça sera bon".
Ce midi-là, le "syndicat" a réuni ses supporters à Paris, sous les moulures du Macéo, pour goûter les plus belles fleurs du futur Cru. Les benjamins (sur la photo, Romain Roche et Alain Boisson) sont passés derrière le bar. Verre en main, il y a là Jean-Claude Dassier, le patron de l'OM, le sommelier Philippe Faure Brac et l'incontournable Marc Sibard... Quelques restaurateurs avisés, des amis journalistes... En entendant le "Président" conclure son petit discours, quelques oreilles se dressent. D'autres lèvent carrément les yeux au ciel:
"Deux ans pour tracer une carte qui correspond, au centimètre près au tracé de la commune? Question rapidité, ça restera pas dans les annales!" glisse un vigneron fataliste.
A la table voisine, un sourire flotte sur les lèvres de Frédéric Alary. Amateur de blancs, il sirote en connaisseur le savoureux Castel Mireïo de son collègue "Dédé" Berthet-Rayne. En joueur d'échec expérimenté, lui sait bien que seule la patience paie. Mais il s'échauffe tout de même lorsqu'il évoque les normes réclamées par l'INAO:
"Tu sais pas par quoi on est passé, rigole-t-il (photo ci-dessous). On nous a demandé de déterminer une "hauteur de palissage"... De "palissage"! Alors que la plupart d'entre nous menons nos grenaches en gobelet! Une "hauteur d'étêtage", aussi... Comme si le vent était le même partout et qu'il n'allait casser que les ceps taillés hors-normes... Tiens-toi bien, on a même voulu fixer "l'intensité colorimètrique" du Cairanne. Parce que la Syrah est à la mode et qu'elle est très colorante... Comme si on pouvait accepter ou refuser un vin selon sa couleur!"
Mais qu'importe, pour Marcel, l'essentiel est fait. Et avec la manière... Là où d'autres s'écharpent, les hommes et les femmes de Cairanne, bios, bio-dynamistes et "raisonnés", indépendants et coopérateurs, se sont battus ensemble pour hisser haut leurs couleurs. Oui, sans jeu de mot: qui l'eut cru?