lundi 26 mars 2012

Au front, vignerons!


L'affiche est volontairement austère. Un petit coté tract à peine sorti de la ronéo... Et qui sent encore l'encre fraiche. "Ensemble, désormais", lit-on... Parce qu'"ensemble on est plus fort", semble dire le carton d'invitation. Un slogan un brin révolutionnaire qu'assument parfaitement ces quinze larrons, indépendants du bio et du bon sur un territoire bousculé par la crise viticole.
"Tu veux dire, un coté Socialisme de la Troisième? Vignerons libres de Maraussan (la première cave coopérative créée en 1902, ndla) ?", rigole Jean-Baptiste Sénat, l'un des meneurs de cette fronde audoise: "J'adhère! Mais de là à enfiler des canadiennes pour aller distribuer des tracts à la sortie des usines, il y a un pas...".
... Qu'il ne franchiront pas. D'autant que l'air se réchauffe en ce moment dans l'Aude et que ces quinze garnements ont d'autres soucis en tête. De la Malepère à la Mer et du Minervois au sud des Corbières en passant par Limoux et le Carbadés, la nature reprend ses droits. Il faut donc éviter de se faire déborder. Et mobiliser l'ensemble des forces disponibles pour ne pas perdre le tempo.
"C'est le moment de l'année où tout s'accélère...", raconte Clément Mengus, le cadet de la bande, récemment "béttanisé". "Les bourgeons sont encore dans le coton et le vigneron travaille sur tous les fronts. Il faut finir les travaux d’hiver; tailler, attacher... Et c'est déjà parti pour le travail du sol. Le week-end dernier, même ma petite femme (alias la fameuse "Demoiselle Claire", institutrice dans le civil, ndla) a été mobilisée pour rattraper la nature. L’arrivée du printemps, c’est le départ de la grande course contre la montre...".
Ces quinze-là, trouveront tout le même le temps de faire déguster leur vins, "ensemble", le 27 avril à Carcassonne (au "Jardin de la Tour"). Une première pour cette toute jeune association de talents. En espérant susciter des vocations. Et changer l'Aude en vin... Nature.


NB: les "Quinze" sont...

Cabardés - Clément Mengus (Domaine de Cazaban)
La Clape - Christophe Bousquet (Pech Redon).
Corbières - Sophie Guiraudon&Philippe Mathias (le Clos l'Anhel), Eric Le Ho (Domaine l'Arbousier), Rémy Jaillet, Xavier Ledogar (Grand Lauze) et Maxime Magnon.
Fitou - Mireille&Pierre Mann (Mas des Caprices).
Limoux - Gilles Azam (Domaine des Hautes-Terres) et Pierre Fabre&Marc Bertrand (Chateau de Gaure).
Malepère - Frédéric Palacios (Le Mas de Mon Père).
Minervois - Samuel Berger (Hegerty Chamans), Nicolas Gaignon&Alain Rochard (Vignoble du Loup Blanc), Jean-Baptiste&Charlotte Senat et Benjamin Taillandier.

La grosse colère de Marcel Richaud.


Il est fumasse, l'ami Marcel...

D'habitude tout sourire, le vigneron de Cairanne ne digère plus le régime auquel le soumet ce qu'il appelle "l'administration des appellations". Le comité de dégustation, qui avait déjà interdit à son primeur l'accès à l'appellation "Côtes du Rhone village"(on en avait parlé ici), vient de récidiver avec ses rosés.
"Forcément, fulmine-t-il, on leur apprend à rechercher le goût "vernis à ongle", des vins très clairs, très fugaces, de terrasse d'été. Les miens arrivent avec des goûts de poire, de pommes compotées... Très fermés au nez. Du coup, ils choquent. Tu comprends, lorsqu'ils arrivent à l'agrément, il ne sont pas au stade d'évolution des vins traités chimiquement (au contraire de 80% des vins du Rhone, produits par des coopératives qui utilisent des levures aromatisées et "stabilisent" leurs vins à grands renforts de sulfites, les vins de Richaud et d'autres, faiblement dosés en SO2, sont dits "vivants", ndla). Ces vins là, il ne savent pas les goûter, ça ne rentre pas dans la grille!".
Et revoilà Marcel en Vin de Table au nom de ce qu'il décrit en vrac comme une "dictature du goût", une oppression "des standards" et, last but not least, "des pressions oenologiques". Vous avez dit pressions ?
"Je vais finir par le croire... Si j'écoute ce qui se dit, il parait que je suis devenu une "cave à problème"! Alors que les agréments sont donnés d'office à la plupart des vignerons et des coopératives mes vins sont systématiquement contrôlés (la règle dit que l'agrément est acquis, sauf contrôle et dégustations négatives, le contrôle porte généralement sur 20% des cuvées, ndla). Cette année on est venu me chercher des échantillons de toutes mes bouteilles et ça, curieusement, depuis que j'ai dis au directeur régional de l'INAO ce que je pensais de ses méthodes. Alors moi je te dis ce que je fais faire: cette année, l'Ebrescade, je ne la présente même pas... Elle passera en vin de Table avec marqué Richaud dessus. Mon nom au moins, ils peuvent, pas me l'enlever..."
L'Ebrescade, la cuvée vedette de la Maison Richaud, en vin de table... Voilà qui risque de faire causer.

Mais Marcel tient bon. Il n'a visiblement pas digéré l'offense faite à ses cuvées par un comité de "techniciens", comme il dit. Il n'a pas digéré non plus d'avoir dû, à l'automne, ré-étiqueter 5000 bouteilles de Primeur refusées à l'agrément in extremis, alors qu'elles étaient déjà en route pour le Japon, Londres ou Barcelone.
"Il a fallu rappeler les camions et mobiliser cinq types pendant trois jours pour tout refaire à la main. Décoller les étiquettes à froid avec du produit à papier-peint. Faire ré-imprimer et recoller... Remettre tout ça en carton. Même l'importateur japonais est venu nous pretter main forte pour être dans les temps... Franchement on s'auto-flagelle volontiers dans ce pays! Sur ce coup là, c'est la règle qui tue la règle. Je ne suis pas un dynamiteur, mais là un bon coup de poing sur la table ça peut pas faire de mal. Ce système AOC qui était une machine a éliminer les mauvais est devenue une usine à éliminer les différences. Et ça, ça me fout en colère".
Les uns invoquent aussitôt Kafka, les autres Ubu. Certains s'empresseront sans doute de suggérer de leur coté que l'homme de Cairanne, comme d'autres stars du vignoble français, a du mal à reconnaître les défauts de ses vins. Qu'il a perdu le recul... Que le succés lui monte à la tête... Après tout, en vigne comme en télé, ce sont parait-il des choses arrivent.

Alors, mauvais joueur, Richaud? La question lui arrache un sourire.
"Mon vin n'est pas parfait. Le rosé n'échappe pas à la règle. Je le sais... Mais lorsqu'on cherche le zéro défaut, les vins lisses, irréprochables, on les dépouille aussi de leurs qualités: la précision d'un terroir et d'un millésime, l'identité d'un vigneron. Attention, je dis pas qu'on doit faire des vins flous, aux arôme fermiers et se trouver des excuses sur le dos des commissions d'agrément. C'est pas mon truc. Je préfère les vins nets, précis. La seule chose que je dis c'est qu'il faut laisser le marché juger les vins différents. Si mes clients sont là, si mes bouteilles sont pré-vendues, c'est qu'elles donnent du plaisir. J'espère..."
Cette année, s'il met sa menace à exécution - et c'est bien parti - les bouteilles de Marcel s'aligneront au rayon Vins de table, avec pour seule mention "Marcel Richaud". C'est un luxe qu'il peut s'offrir. Il est l'un des vignerons français dont le nom est devenu, avec les années, une appellation à lui tout seul.