vendredi 4 mai 2012

La moue d'un ami...


C'est une longue bouteille alsacienne signée Frick, une référence du vin nature. C'est aussi une fillette bavarde, qui vous raconte sa vie avant même d'avoir atteint votre verre. Le bio, la bio-dynamie, l'éthique de l'authentique, le sens du terroir et deux logos pour le prix d'un : AB et Demeter. Tout est affiché. Sur l'étiquette de ce Pinot noir "sans souffre", on trouve même un petit laïus sur l'Art de la capsule:
"Parce d'un vin bouchonné de liège sur 10, trahit son terroir"
Religieusement, on dé-capsule donc (quoique le geste surprenne) pour libérer le nectar. On le carafe parce que mes amis m'ont toujours dit qu'un bon vin n'avait rien à y perdre. Et on sert, sous l'oeil connaisseur du vigneron qui a amené la bouteille. Et là, patatras! Voilà que ça grimace en bout de table. C'est Robert, le cuisinier, le maraîcher, l'amoureux des vergers et des jardins. Robert le généreux, qui s'étouffe. Et repousse son verre comme on renvoie un mauvais plaisant.
"Non, dit-il, ça c'est pas pour moi."
Le vigneron a beau lui expliquer la philosophie du domaine, le respect de l'environnement, rien ne passe. Jusqu'à cette phrase :
"En fait, Robert, Frick c'est un gars qui fait le vin comme on le faisait au début du siècle dernier. A la main. Sans chimie, sans levure artificielle, sans traitement."
Nicolas Joly n'écrit-il pas dans "la vin, la vigne et la biodynamie" que lorsqu'on boit un "vin vrai", lorsqu'on est "ému par ses goûts et ses arômes", "c'est un monde lointain que l'on admire"? Lointain comme les racines plantées par 12 générations de Frick au dessus de Rouffach... Nouvelle moue de Robert, définitive, celle-là :
"Ah, là c'est sûr. Là, je suis d'accord. Ça c'est des vins comme en buvait mon père lorsqu'il est arrivé en France (d'Italie, ndla). Mais, c'est plus pour moi... ".
Qu'en conclure ?

Que le vin est une affaire d'éducation ? Que ce sont des vins qui ne se servent pas "comme ça", au "premier venu"? Que Robert ne sait pas goûter? Il se trouve que je considère justement mon ami cuistot comme assez bien "éduqué" en matière de goût et de saveurs. Il est de ceux qui savent apprécier la justesse d'un assemblage et l'équilibre d'une bouteille.

Faut-il alors plaider qu'il faut comprendre la démarche pour goûter ces vins? Qu'un Frick ne se boit qu'après avoir potassé Steiner et Nicolas Joly, digéré leurs enseignements et tiré la "substantifique moelle" de leur philosophie? Sans doute, cela aide-t-il. Mais je connais bien des vignerons bio (et plus...) dont les nectars n'ont besoin d'aucun sous-titre. Par ailleurs, est-il bien sage de demander aux consommateurs de connaître sur le bout des doigts une doctrine pour apprécier un verre de vin? Où sont le plaisir, la rencontre, l'émotion si tout est à ce point raisonné?

Faut-il alors penser que cette bouteille était défectueuse? C'est possible. C'est indéniablement, capsule ou pas, l'un des grands obstacles sur le chemin du sans souffre. Ne pas sulfiter, c'est laisser le vin vivant certes, mais aussi un peu vagabond. C'est courir un risque.

Doit-on alors faire une croix sur Robert et se dire que s'il y a des bouteilles défectueuses, il y a aussi des consommateurs perdus pour la cause?

Gardons-nous en... Prenons-le plutôt comme un signal d'alarme. Un rappel à l'ordre. Ne buvons pas nos "dives bouteilles" et nos "nectars de star" entre nous. Ne cédons pas à la tentation du microcosme dont politiques et media (dont je suis) apprécient tant le confort. En un mot, vignerons: aimez Frick, mais ne brûlez pas Robert! Faites du vin selon votre coeur, mais ne vous contentez jamais du jugement de vos seuls amis.

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