dimanche 24 juin 2012

A la mémoire de Juan


C'était un homme "fatigué par la vie", comme on dit. Trop de travail. Trop de vin, aussi. Ce vin qui rendait Juan un peu taciturne, mais dont il ne se serait privé pour rien au monde. "Agua negra por favor!", lançait-il impérieusement, avec son accent espagnol, au terme d'une longue journée de labeur chez les Senat. L'appel ne souffrait aucun retard. A ses yeux, ces litres d'"eau noire" faisaient partie de son salaire. Longtemps sans toit, il avait appris à se contenter de peu. De boire, souvent.
"De lui, on ne savait pas grand chose, finalement, raconte Jean-Baptiste, encore sous le choc. Je sais qu'il était né à la Mula, en Murcie, le 19 février 49. Il était venu pour la première fois en France en 68, pour rejoindre un oncle près de Nimes. Ensuite, on ne sait pas trop pourquoi, il s'est établi dans l'Aude. Il était un peu solitaire. Mais pour travailler à la vigne, il était toujours au rendez-vous. Pour nous, c'est une page qui se tourne. Et c'est pénible".
Lundi, on l'a compris, Juan Garcia Lopez (à droite, ci-dessous) a passé le sécateur à gauche. Il venait d'avoir 60 ans. Avec lui disparaît la mémoire d'une génération. De ces espagnols qui traversaient quotidiennement les Pyrénées à la fin des années soixante pour vendre leurs bras. A une époque où le Languedoc était flamboyant... Et l'Espagne misérable.
"Cette génération d'ouvriers a largement participé à faire prospérer notre région, rappelle Jean-Baptiste. C'était des durs au mal, des durs à cuire... Ça, ici, on l'oublie un peu trop facilement."
Voilà pourquoi, demain après l'enterrement, les hommes du Domaine Senat et quelques autres iront boire "un cop de vi" à la mémoire de Juan. Un vin exceptionnellement coupé d'un peu d'eau. Parce que c'est comme ça qu'il aimait le boire.

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