samedi 1 septembre 2012

Barral: à prendre ou à laisser.


C'est peu dire que l'homme déclenche les passions. Icône du bio pour les uns, archétype de ses dérives pour les autres, Didier Barral ne laisse personne indifférent. Les premiers saluent son génie. Les seconds brocardent ses cuvées au nez "animal" et jurent - sacrilège - qu'il ne "vend plus". Tantôt gourou, tantôt démon, il est de ceux au nom desquels se déclenchent ces petites guerres de religion dont le raffole microcosme vigneron.

Ce jour-là, dans la fraîcheur de sa cave, l'homme de Lentheric joue au feu-follet entre ses cuves. Et renvoie tout le monde dos à dos...
"On dit que mes vins sentent le fumier, lâche-t-il avec son accent biterois... Entre nous, c'est normal: il n’y a pas de soutirage. Il suffit de le carafer, de le laisser s’ouvrir. Cette odeur de "ferme", comme ils disent, ce n'est pas ce que je recherche dans le vin. Évidemment. Mais après tout si mes cuvées sentent l’animal, c’est mal ?"
Fidèle à sa réputation, l'homme remplit les verres en silence et les tend, sans un mot. Comme si ses vins se passaient de commentaires. On le sent rude mais malicieux, séducteur et complexe. Avec ce drôle de mélange de certitude et de provocation que l'on rencontre parfois chez ceux qui ont choisi les pentes escarpées et sont parvenus à leurs fins.

Car, quoi qu'on en dise, avec ses vignes au ras du sol et ses méthodes de vinification iconoclastes, Didier Barral s'est fait un nom. Du Faugères générique à la Valinière, ses cuvées se sont frayées un chemin... Jusqu'en Chine et au Japon où l'on raffole de ses "vins natures". Ici, on sort 90.000 bouteilles chaque année, dont une bonne partie à l'exportation. Ça n'empêche pas les regards en coin, mais ça donne quelques arguments.
"Lorsqu'on a repris l'exploitation avec mon frère Jean-Luc, il y a 15 ans, les vieux du village nous regardaient de travers. Ils nous ont vu arrêter de désherber, laisser vivre les vignes, puis lâcher de petites vaches au milieu de tout ça... Un jour, un des copains chasseurs de mon père est même venu l'avertir: "A force de laisser l'herbe pousser comme ça dans les vignes, le jeune il va tout flamber!". Mon père a rigolé et nous, on a continué à avancer. Sans religion. Le vin nature, c'était pas notre rayon a priori. C'est venu comme ça."
Un acte manqué, en fait. Un beau jour de 94, pour son second millésime, Didier oublie de mettre du souffre dans sa cuve de Mourvèdre. Au final, le cépage ne s'en tire pas plus mal. Au contraire. L'année suivante, il "oubliera" donc - volontairement, cette fois - de souffrer ses autres cuves. C'est ainsi, à tâtons, que se forge une méthode.
"Cette année, j'ai replanté une Syrah d'altitude, explique-t-il en entrant dans la cave à barriques. C'est une Syrah de Nord. D'expérience, c'est là qu'elle s'épanouit le mieux. En fait la Syrah orientée au sud, c'est une hérésie. J'en ai... Mais ça n'est pas fait pour vivre au sud!".
Seule l'expérience, les expériences partagées, ont construit ces certitudes qu'ils assène comme des évidences, d'une voix tranquille. Et tant pis si ça agace...

Curieux de tout, Didier Barral est le seul en Faugères à faire du blanc avec un Terret gris et vient de replanter - "pour voir..."- un vieux cépage très aromatique, que les anciens servaient à Noël. Ce n'est pas un hasard si l'une de ses cuvées a été baptisée Jadis et si le domaine porte le nom de Léon, le grand père. Bien au delà du vin, le biterois cultive une véritable passion pour les goûts perdus, le travail à l'ancienne. Il faut le voir au milieu d'une dégustation, s'émerveiller du moelleux d'un vieux Salers, qu'il conserve emmailloté, dans la fraîcheur du chai.

A Lentheric, comme les anciens, Didier et son frère élèvent des vaches (pour le désherbage de printemps et l'engrais...) mais aussi des cochons noirs. Ils font pousser du blé vieux (sans gluten), des cerises et des abricots. On cultive pour nourrir les bêtes, qui à leur tour nourrissent les hommes et les vignes... Et la boucle est bouclée. Le système Barral c'est une certaine idée de l'autonomie.

Il y a quelques mois, les deux frères ont ainsi acheté pour leurs bêtes quelques hectares de collines à la sortie du village. Là, en travers d'un petit cours d'eau, ils ont reconstruit un barrage, créant une retenue où les enfants viennent jouer.
"A Lentheric, on s'amuse comme on peut", glisse sa femme avec un petit sourire.
Le vigneron de Faugères ne s'en plaint pas. Si on le croise peu en ville, c'est qu'il n'aime guère quitter son village, ses vignes et ses bêtes. Pour lui plaire, la partie doit se jouer selon ses règles, à domicile, au sortir d’une sieste réparatrice derrière les volets clos de la grande maison de famille.

Et comme toujours avec Didier Barral: c'est à prendre ou à laisser.


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