mercredi 10 octobre 2012

Le bal des petites mains


Il y a de petites mains qui rendent les grandes choses possibles. Dans le monde du vin, comme hier dans l'univers feutré de la couture, ces arpettes (au sens originel du terme) sont incontournables. Ce sont elles qui pré-taillent en novembre, ébourgeonnent au printemps et passent des heures, à l'automne, penchées sur les tapis de tris. Dans les chais de Pontet Canet, l'un des seuls grands crus de Bordeaux à osé passer en biodynamie, c'est un moment clé. Presque un rituel...
"Après une première sélection sur pied nous avons deux tris successifs, raconte Jean-Michel Comme, le régisseur du Château de Pauillac (qui, avec sa femme Corinne, est aussi vigneron indépendant au Champs-des-Treilles, ndla). Les grappes qui arrivent directement de la vigne en tout petites cagettes (7 kilos, ndla) sont versées à la main sur un tapis roulant. Il s'agit de les secouer le moins possible pour pouvoir séparer les grains pourris des grappes saines. Là, au choix, on supprime ou on "opère" pour enlever au sécateur la partie botrytisée. Puis la vendange est égrappée et les baies tombent sur un tapis vibrant qui répartit les grains sur toute la largeur. Les femmes enlèvent alors tous les petits débris végétaux, les morceaux de rafle qui ont réussi à se glisser jusque là. Ça permet d'éviter les arômes herbacés et les tannins végétaux... On préserve ainsi la pureté des saveurs du fruit".
Il faut de bon yeux et la main leste pour séparer ainsi le bon grain de l'ivraie. "Une main de femme", précise Jean-Michel. Comme si des couturières de Coco Chanel aux trieuses de Pontet Canet, les rôles avaient été répartis une fois pour toute. Ici, sous le contrôle de Maud et Laetitia, vigneronnes chevronnées, pas de droit à l'erreur: le raisin tombe ensuite directement dans les cuves. A aucun moment il n'aura été aspiré, bousculé ou abîmé. Tout se fait par gravité. Et depuis la vigne, seules nos petites mains auront été autorisées à toucher la récolte.
"C'est un moment très fort mais qui me laisse un sentiment toujours mitigé, confie Jean-Michel. Il y a bien sûr un peu de nostalgie parce qu'on voit partir l’été, parce que c'est un cycle qui se termine... Et que les années passent! Il y a aussi le soulagement de voir les cuves se remplir d’une vendange qui n’a plus rien à craindre de la pluie ou des attaques. Et puis il y a l'impatience... On voudrait connaître le bébé, savoir à quoi il va ressembler. Nos choix bio-dynamiques sont tellement novateurs pour la région qu’il me tarde de voir comment nos façon de faire vont se traduire dans le vin".
Lundi dernier, les fourmis de Pontet Canet ont terminé de trier les merlots. Déjà les cabernet-francs roulent sur le tapis vibrant. Sous leurs pieds, trois mètres plus bas, devant les cuves qui se remplissent doucement, les hommes ont commencé les vinifications. "Au verre". Sans ordinateur pour contrôler les degrés des fermentations, il faudra goûter et goûter encore... Juger des réussites et des échecs du millésime. Imaginer de nouvelles méthodes...

Mais on n'en est pas là. Sur les tapis de tri, les doigts légers poursuivent leur ballet. Dans les caissettes, les cabernet-sauvignons attendent déjà avec impatience de s'abandonner à leurs mains expertes. Le murmure vertueux des arpettes n'a pas fini d'emplir le chai.

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