lundi 23 janvier 2012

Frédéric Palacios, l'"incontournable"...


Il y a dans la vie d'un vigneron des plaisirs simples. Sans sombrer dans un inventaire à la Delerm, il faut les entendre en ce mois de janvier frileux, s'enthousiasmer pour "la belle vie dans les Corbières, seul avec son âne, sous le soleil d'hiver" (M. Magnon), "une bonne journée de taille, 500 souches tombées, une saine fatigue..." (JB. Senat), "un voile d'humidité sur l'église de mon village, le soir tombant sur mes Malbec" (F. Palacios).

Poésie de bistrot ? Non. Cri du coeur. Il ne faut jamais pousser beaucoup le vigneron le plus rugueux pour lui faire avouer ces petits moments de grâce. Chaque artisan, à sa manière, est un hédoniste, un profiteur. Un homme qui a appris que la course aux bénéfices ne rembourse jamais complètement les immenses efforts consentis dans les vignes tout au long de l'année. Et qu'il faut savoir se payer en nature.

Ce matin, pourtant, Frédéric Palacios ne sait pas trop comment réagir. Lui, le cadet des amis, le taiseux, est littéralement "tombé de l'armoire" en découvrant son nom dans la prestigieuse Revue des Vins de France. Mieux : sous la plume de Véronique Raisin (RVF et Picrocol), le voilà proclamé "Domaine incontournable de la Malepère", cette minuscule appellation de grès friable (malo peiro, la "mauvaise pierre"), de limon et d'argile. Au coeur de ce "Languedoc paradoxal", qui relie le canal du midi aux Pyrennées (voir carte), la journaliste salue un "artisan en quête du meilleur" et déjà un vin "floral, délicatement épicé, aux accents de jacinthe, fin et élégant" (le "Dégustez-moi" 2006). C'est presque trop. Au téléphone, l'ami Frédéric a du mal à finir une phrase :
"Franchement je ne crois pas à ce qui m'arrive. A mon niveau de vin... Enfin, je ne sais pas... Je suis un peu gêné de me retrouver là. C'est beaucoup. Ça me fait plaisir pour le travail... Pour tout ce que ça représente de peine et de sueur... Mais ça fait peur... J'en reviens pas. Tu comprends ?"
Je comprends surtout que ce monde qui lui offre un début de reconnaissance, ce monde dont il a rêvé, il n'y est pas préparé. Lui, "l'éternel insatisfait" qui ne chancelle pas même lorsqu'il tombe grappe après grappe et renonce, au nom de la qualité, à la moitié de sa production, est saisi soudain d'un formidable vertige. Fausse modestie? N'en croyez pas un mot. Voyez-y plutôt la timidité d'un enfant peu habitué à recevoir l'éloge des grandes personnes.

Et pourtant, quel parcours! A 30 ans à peine, trois ans seulement après le premier "Mas de mon Père", le voilà intégré aux "rebelles" de Vinum Nostrum, comme dit Hervé Bizeul, reconnu par la très respectable RVF, appelé par des négociants haut de gamme qui prétendent "sélectionner les meilleurs vins, les plus étonnants, pour les plus grandes fortunes d'Europe". Méfiant, Frédéric se contente de prendre ce qui vient. Sans brûler les étapes. Et préfère changer de sujet.
"Tiens je suis au milieu de mes Malbec, là, avec Arcane (sa plus jeune chienne, ndla). Ca va encore être une belle année. Le 2007 en tout cas va être exceptionnel. Incroyable, je te jure".
Le dos tourné aux Pyrennées, avec en ligne de mire ce fameux "soleil couchant sur les clochers d'Arzens", il détourne consciencieusement la conversation sur ses dernières "expériences". Sa nouvelle cuvée Carignan ("C comme ça"), des ceps centenaires dont il a gardé quelques centaines d'ares, d'une vie antérieure, près de Saint Chinian. Et le Chasan, bien sûr... Ce vin là lui a valu sa première médaille en 2005. Méconnaissable après avoir subi ses impitoyables coups de sécateur et être passé en barrique, il lui donnera à peine 300 bouteilles cette année. "Quitte ou double", ce sera le nom de ce blanc étonnant. Un nom lui ressemble tellement...

Ce soir, il est aussi intarissable sur ces essences de bois dont il étudie inlassablement les réactions au contact de ses vins : Chêne des Vosges, Tronçais, Indre et Loire, Loiret. Frédéric les a toutes essayées, déjà. Cette année, il s'est "contenté" des Vosges. Mais il n'a pas renoncé à son rêve : une barrique à la carte. Sur mesure.
"Une essence de bois, glisse-t-il, emporté par son sujet, c'est une corde à musique, une note... Le but ultime ce serait d'assembler des douelles d'essences différentes (ces lames étroites qui composent les fûts de chêne, ndla), selon les millésimes. Tu vois ? Pour jouer de toutes les cordes. Les faire résonner avec le vin".
Insatisfait, perfectionniste, un brin risque-tout, l'auteur du "Mas de mon Père" préfère décidemment parler de son vin plutôt que s'attarder sur ses lauriers. Et comme je lui fais remarquer que, finalement, il ne se débrouille pas si mal pour communiquer sa passion, il conclut dans un éclat de rire : "Tu vois moi aussi, finalement, je suis en cours d'élevage!".



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