dimanche 25 novembre 2012

Qui a peur des oenologues?


L'oenologue, dans le petit monde des vins d'auteurs, c'est une sorte d'intrus. Dans cet univers d'intuition, où l'on ne jure que par les médecines douces et le terroir, il est l'inavouable laborantin, le "chimiste" dont on voudrait n'avoir jamais besoin. Las, il est aussi parfois le sauveur des cuvées en perdition. Le médecin de crise des ph défaillants et des acidités volatiles... Alors on s'y adosse, on le tolère et pour peu qu'il ne soit pas trop insistant à prescrire ses "satanées médecines", on le trouverait presque fréquentable...
"Je vois le mien une à deux fois par an, raconte Eric Pfifferling. Un type très sympa. Il me fournit l'analyse de mes vins et son ordonnance (les oenologues ont l'obligation de prescrire des traitements lorsqu'ils décèlent une "anomalie", ndla)... Que j'oublie aussitôt!"
Chez les Valette, on raconte avoir fait "un marché" avec un groupe de jeunes ingénieurs compréhensifs. Les analyses arrivent par mail, assorties de recommandations dont chacun sait qu'elles resteront lettres mortes. On y vante les "ensemencement par bactéries lactiques" pour "finir les vins plus tôt" (mais artificiellement) ou encore des traitements révolutionnaires pour rattraper des jus ratés: "vins acides ou amers" tentez "3g. de Filtrolia + 40 de Valoria"; "vins maigres et sans structure", essayez donc "50g. de Refloral + 30 de Fortifia". La liste complète donne le vertige...
"Le problème, expliquent Philippe et Cécile, c'est que les oenologues sont aussi des commerciaux qui ont parfois la main lourde en matière de prescription. C'est comme si des médecins émargeaient auprès de l'industrie pharmaceutique! Au niveau déontologie c'est tout de même pas idéal..."
On entends le soupçon. D'un coté des "vendeurs de solutions oenologiques", incités, dit-on, à allonger la note. De l'autre des vignerons un peu inquiets, inexpérimentés ou tout simplement désireux de vendre, le mieux et le plus vite possible. Au total, on aurait ainsi tendance à appliquer un peu facilement les "recettes" clés en main apprises loin des vignes, sur les bancs de l'Agro Montpellier ou des écoles de pharmacies.
"Il faut que ces gars admettent qu'ils ont été formés, formatés, pour une viticulture sous perfusion chimique, s'emporte Bertrand Gautherot. Une vigne nourrie à l'azote qui donne un jus pauvre en arôme, en protéines, en acidité. Mais s'il y a une discipline qu'on n'enseigne pas au DNO (Diplome National d'Oenologie, ndla), c'est bien l'humilité!".
Car voilà bien le coeur de l'affaire: si les vignerons natures sont aussi remontés contre les oenologues, c'est aussi parce que les plus réputés ont tendance à leur voler la vedette... Pour se vendre à l'ennemi! "Faiseurs de vins", abonnés aux "90" du célèbre Robert Parker (en photo à gauche), les stars de la profession se vantent volontiers d'avoir trouvé la martingale qui ouvre les portes des guides les plus prestigieux. Au prix d'une "mondialisation du goût", disent les puristes.
"L’œnologue est un architecte du vin, se défendait récemment Denis Dubourdieu , l'un des maîtres de la spécialité. Il doit être à la fois artiste et savant, intuitif et précis, sensible et rigoureux. Bien sûr, il doit aussi s’intéresser au marketing et à la communication pour capter les attentes des marchés (...). Mais franchement, s'il y a des excès, c'est le producteur qu'il faut accuser. C'est lui qui choisit de sacrifier la finesse et la complexité de ses terroirs sur l'autel de la "grosse note"!".
Assez. Quittons donc les autoroutes commerciales et les débats politiques enflammés pour retrouver nos chemins de traverses. Là, dans le silence du chai, curieusement, les relations sont beaucoup plus simples. Les discours moins tranchés. Ensemble, le scientifique et le vigneron goûtent les vins en échangeant des regards. Tantôt dubitatifs, tantôt entendus. Complices?
"Bien sûr, acquiesce Jean-Baptiste Senat. Mais pour cela il faut que le vigneron sache ce qu'il veut. Quel vin il veut faire... Si on laisse l'ingénieur "faire vin", il s'engouffre dans la brèche, c'est normal. En revanche, lorsque les choses sont claires, il apporte un savoir technique, un recul que je ne peux pas avoir. Lorsque j'ai le nez dans le guidon, il m'apporte de la clarté. Et une écoute... C'est précieux."
Des mots qui sonneront doux à l'oreille de Jacques Trannoy et de ses collègues. A quarante ans, ce "consultant en vin" suit, bon an mal an, une vingtaine de vigneron dans l'Aude. Quinze ans se sont écoulés depuis sa sortie de l'École. Quinze millésimes, qui
l'ont "soigné", dit-il, de ses certitudes de jeune diplômé. Et qui ont nourri son expérience. Son calepin toujours à portée de main, il se définit désormais comme un "compagnon de voyage".
"Moi, je ne veux pas être un docteur en vin qui délivre des ordonnances, explique cet indépendant. Je n'ai pas de recette toute faite. Je conseille d'ailleurs des vignerons très différents, de la chimie à la bio-dynamie. Mon boulot c'est de connaître l'effet millésime, de le jauger. De détecter les déséquilibres. D'amener le vin à la bouteille dans les meilleures conditions possibles. En respectant son caractère... Et celui de son vigneron!"
Parfois, il faut "se bagarrer un peu", raconte un de ses clients tout juste converti en bio. Apparemment les deux hommes sont loin d'être toujours d'accord. Dans ces cas-là, Jacques écoute, avertit... Et s'incline. Au vigneron et à son art du terroir revient le dernier mot. Toujours. Après tout c'est lui qui signe le vin, non?


Et chez Jacques Berthomeau les entretiens avec Denis Dubourdieu et Stephane Derenoncourt, "surtout pas oenologue".

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